mercredi 25 novembre 2009

Le palanquin des larmes - Chow Ching Lie

"Je suis née dans un pays féodal, je me suis mariée l'année où la
Chine s'apprêtait à franchir d'un seul coup plusieurs siècles."


Chow Ching Lie a treize ans quand sa famille la contraint à épouser le fils ainé d'une des plus riches familles de Shanghai. Pour cette jeune fille ne connaissant rien au mariage et encore moins à l'amour, le choc est rude, d'autant plus qu'elle a vécu une enfance douce et heureuse et qu'elle se voyait entrer un jour au conservatoire et devenir pianiste. Mais ses parents, et notamment sa mère, en ont décidé autrement : de par sa merveilleuse beauté, Chow Ching Lie pourrait être courtisée par n'importe qui et il n'est pas question qu'elle connaisse à son tour les affres de la pauvreté. Alors Chow Ching Lie se rend et accepte de monter dans le palanquin du mariage...

Nous sommes en 1950 et une jeune fille d'à peine treize ans se voit devoir épouser un homme qu'elle ne connait pas et de dix ans son ainé. Dans la Chine de la moitié du XXème siècle, la chose est encore banale et courante et il faudra attendre l'avènement de Mao quelques mois plus tard (trop tard pour Chow Ching Lie comme elle même le reconnaitra amèrement) pour que les choses changent et que les mariages arrangés pour ne pas dire imposés soient interdits.

A travers le récit de sa jeunesse, Chow Ching Lie dépeint la Chine qu'elle a vue et où elle a vécu avec sa famille. Le palanquin des larmes peut ainsi se scinder en trois parties toutes intéressantes et qui montrent bien les métamorphoses rapides de l'Empire du milieu. Tout d'abord, nous suivons l'héroïne durant son enfance à Shanghai dans une Chine alors envahie par les Japonais. La seconde guerre mondiale fait rage et les Chinois ne seront guère épargnés : le conflit fera près de 5 millions de morts... Pour la population chinoise, la vie est dure. L'auteur là encore nous en donne un brillant exemple quand elle nous raconte les risques pris par son père pour les tirer de la pauvreté. La fin du conflit n'amène cependant ni la paix ni la prospérité tant espérées. Il est alors étonnant d'imaginer le Shanghai des années 40, un mélange de Chicago avec ses gangs, ses buicks dans les rues, ses dancings et autres lieux de débauches qui fleurissent dans toute la ville, et notamment dans les concessions étrangères, quartiers chics et réputés où les Chow réussiront à trouver finalement un logement. Mais la vie chinoise d'alors, malgré cette modernité apparente, reste cependant terriblement ancrée dans les traditions. Le décalage est immense entre les coutumes strictes et sévères et les timides aspirations de liberté ici ou là. Les femmes, notamment, se doivent de rester irréprochables, de devoir obéissance et respect tour à tour à leur père, puis leur mari et enfin leur fils. L'exemple le plus criant est celui de la mère de Chow Ching Lie, qui, après son mariage, devient le véritable esclave de sa belle-mère.

Cependant, que l'on ne s'y trompe pas : si de telles pratiques étaient faites, personne, en son for intérieur n'y trouvait quoi à y redire ou y voyait du mal. Ainsi l'exemple du mariage "arrangé" de Chow Ching Lie: pour sa famille et notamment ses grands-parents, il est sur et certain que grâce à cela, elle sera à l'abri définitif du besoin et de la pauvreté. Quand on lit les misères et malheurs qu'ont subi ses parents et grands-parents, on peut comprendre aisément le point de vue qui a motivé leurs décisions.

La deuxième partie du roman nous emmène donc dans la nouvelle vie d'une Chow Ching Lie jeune épouse. Les descriptions des fastes du mariage valent à elles seules le détour et permettent d'avoir une vision détaillée de multiples coutumes chinoises, de la préparation du trousseau à l'arrivée de la mariée dans sa nouvelle demeure (en l'occurrence celle de ses beaux-parents) en passant par le banquet. Si son mari l'aime passionnément, ce n'est guère le cas de sa nouvelle famille, à commencer par ses belles-sœurs ou encore sa belle-mère. L'arrivée d'un fils puis d'une fille changeront peu de choses à cet état de fait, il faudra que les évènements intérieurs se déchainent pour que commence à s'effriter une configuration familiale vieille de plusieurs siècles.

Car Mao est monté au pouvoir et avec lui, c'est l'instauration du communisme. Chose étonnante : l'entourage de Chow Ching Lie accueille plutôt bien cette nouvelle, voire, comme son frère, certains y prennent part. C'est que comme l'explique là encore l'auteur, le maoïsme a eu ceci de bon que de multiples pratiques moyenâgeuses sont enfin abolies comme la prostitution, le mariage forcé ou l'asservissement des bonzes et que les Chinois, après avoir été asservis par les puissances étrangères, ont pu reprendre en main leur pays. S'en suivent ensuite le Grand Bond en avant, la période dite "des cent fleurs" puis une terrible famine qui frappe cruellement Chow Ching Lie et les siens.

La dernière partie du roman, peut-être la moins intéressante à mes yeux, se déroule à Hong Kong où Chow Ching Lie devra traverser encore bien des tourments avant de pouvoir enfin s'envoler vers la France où une carrière de pianiste, l'espère t-elle, l'attend.

Le ton employé par Chow Ching Lie durant tout le récit est un ton simple et mesuré où nul ressentiment ni regret ne transparait. Au contraire, c'est un immense amour pour son pays, la Chine, qui est ici décrit et l'auteur nous retranscrit le plus fidèlement possible les soubresauts subis par la Chine et ses habitants. Certes, Chow Ching Lie ne nous montre que ce que elle, elle a vécu (les erreurs ou les victimes du communisme ne sont pas évoquées) mais là encore, ce sont tour à tour avec des yeux d'enfants, puis de jeune épouse puis enfin, de femme libre, que nous suivons cette jeune femme admirable qui, tout en respectant les traditions, s'est également élevée à la modernité.

Lire Le palanquin des larmes en définitive c'est partir pour un long voyage passionnant, de la Chine féodale de l'impératrice Tseu Hi au régime maoïste, en passant par la guerre sino japonaise ou encore l'avènement du communisme. C'est également l'immersion dans une famille chinoise et encore plus dans ses traditions, modes de vie et pensées. Sans oublier aussi et surtout l'histoire d'une jeune fille à qui un jour on avait prédit qu'elle prendrait en main le rênes de sa vie grâce à une "chose qui contient beaucoup de métal" : le piano.

Ma note : 5/5

Éditions
J'ai lu, 380 pages

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